Étiquette dans zones pavillonaires

«Le pavillonnaire, c’est révolutionnaire!»

Vues comme des zones de repli sur soi ou de déclassement des classes populaires, les zones pavillonnaires sont aussi des territoires en pleine mutation, où s’inventent de nouvelles manières d’habiter.

Bienvenue dans l’enfer pavillonnaire. « Dehors, rien, hors le silence et la nuit qui tombe sur les trottoirs. Il y a bien ici et là des parterres tristement fleuris, des pergolas et parfois quelques tentatives pour créer un décors de jardinerie. La rue bordée de barrières en PVC attend un second souffle de vie.» Dans un essai tranchant (1), Jean-Luc Debry a listé tous les griefs qu’une conscience de gauche peut développer à l’encontre de cette France des propriétaires, des ralentisseurs, des ronds-points et de ce que l’auteur appelle le « vivre ensemble séparé ». Des néovillages marketés, où le travail, la consommation et la propriété sont érigés en Sainte-Trinité. L’auteur va même jusqu’à dénoncer une « idéologie pavillonnaire » offrant la possibilité à un « prolétariat pacifié » d’assouvir un rêve «petit-bourgeois» dans ce royaume de la bagnole des balisées. Un véritable «huis clos de l’égo » où l’on vit « ensembles séparé ».

Exagéré ? D’autres voix, en tous cas, commencent à s’élever pour changer le regard sur ce type d’habitat. « Le pavillonnaire, c’est révolutionnaire ! » a même osé le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (Caue) de 
l’Essonne, de façon provocatrice, dans sa dernière gazette. Cet organisme départemental, en charge de la promotion de la qualité architecturale, urbaine et paysagère auprès des acteurs locaux, a lancé il y a quelques mois un Observatoire des mutations pavillonnaires.

Le but ? « Montrer que ces quartiers peuvent évoluer et peuvent être aussi porteurs de nouvelles manières d’habiter», explique Nolwenn Marchand, chargée de mission auprès du Caue 91. « Il serait réducteur, explique cette architecte, de ne voir dans ces formes d’habitat que des espaces consommateurs d’espace, énergivores, et producteurs d’un entre-soi. » Au contraire, de nombreuses initiatives se multiplient sur le terrain pour y développer une vie « plus collective, plus solidaire ».

À l’instar du projet de la famille Montfort, éjectée de Paris par les prix de l’immobilier.«Nous ne voulions pas rentrer dans l’environnement pavillonnaire classique, qui participe de l’étalement urbain et ne permet pas de faire face aux enjeux énergétiques futurs », explique Raphaël, le père de famille. Avec sa compagne, ils décide donc d’acheter, avec une autre famille, un pavillon de 300 m2 à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), qu’ils transforment en habitat groupé. Ils ajoutent un escalier extérieur, se partagent les quatre niveaux et mettent en commun la laverie, les caves, le garage à vélo et le jardin. Transformer un pavillon en logement collectif n’est pas le domaine réservé de cadres sup’.

La maison de la famille Montfort, à Fontenay-sous-Bois. ©CAUE91

À Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), l’association Solidarités nouvelles pour le logement a métamorphosé une maison en six HLM très sociaux, destinés à accueillir des femmes isolées, précaires ou sans domicile. « Faire du logement individuel partagé, pour les gens perdus, c’est une très bonne solution. On constate vite une véritable entraide, explique Étienne Primard, fondateur de l’association. Très souvent, les habitants s’organisent, pour les trajets maison-école, se rendent des services, pour fêter les anniversaires ensemble…»

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Le CAUE du Val-de-Marne a, quant à lui, transformé un pavillon en espace de travail collectif. De nouveaux types de bureaux, appelés «coworking», qui ont le double avantage de réduire la mobilité subie entre domicile et travail et de recréer des petites centralités dans ce qui reste des cités-dortoirs, à vocation monofonctionnelles.

Un terrain d’expérimentations sociales

Au-delà de la transformation du bâti, les zones pavillonnaires sont aussi un terreau d’expérimentation sociale. À Limour-en-Hurepoix, les habitants ont mis en place un pédibus. Fini le ballet des voitures devant l’école : le ramassage scolaire est assuré par des parents bénévoles, à pied, selon un tracé préétabli. L’autopartage, les Amap ou les systèmes d’échanges locaux fleurissent aussi en Essonne, où plus de 50 % du parc de logements est constitué de maisons individuelles. C’est aussi le cas des Incroyables Comestibles. Le principe de ce mouvement est plutôt simple : planter des fruits et des légumes dans les espaces publics, dans des interstices urbains non utilisés, et qui sont offerts à tous.

Quand Elsa a commencé à poser des jardinières d’aromates et de menthe dans sa rue du vieux Corbeil, des voisins, à qui elle n’avait jamais parlé, sont immédiatement entrés en contact avec elle. Athis-Mons, Marcoussis, Étampes, Brunoy… Les Incroyables comestibles ont germé aujourd’hui actif dans une quarantaine de communes du département. Verra-t-on bientôt apparaître des potagers sur les ronds-points  ? « Oui ! Cela existe déjà ! », explique-t-on au CAUE 91. « La Communauté d’agglomération des Lacs de l’Essonne a développé une démarche paysagère d’ensemble qui a débouché sur la formation des agents des espaces verts et la mise en place d’une gestion différenciée des espaces publics.» Résultat : des jardins ont bien vu le jour sur les carrefours giratoires…

Bien qu’éparses et balbutiantes, ces initiatives sont autant de pistes pour mieux vivre dans ces territoires périphériques, qu’il faut diffuser largement, explique Nolwenn Marchand. « Les zones pavillonnaires sont le fruit d’une histoire et de décisions politiques qui ont encouragé la production de maisons individuelles et l’accession à la propriété. Ce tissu urbain, qu’on le conteste ou pas, existe. Il est là. Il ne s’agit donc pas de stigmatiser ces territoires, et encore moins leurs habitants, ou de faire table rase, mais plutôt de s’interroger sur la manière dont on peut les faire évoluer.»

De son côté, la sociologue Violaine Girard a aussi démontré combien le développement d’un habitat pavillonnaire dans des zones périurbaines éloignées des grandes métropoles ne se traduit pas nécessairement par une « une démobilisation politique généralisée ni un strict repli sur la sphère domestique ». Ni par un sentiment de relégation ou de déclassement. Dans une étude menée dans des cantons semi-ruraux située à 40 km d’une capitale régionale du Sud-Est (2), où les ouvriers et les employés sont surreprésentés, elle démontre que ces catégories d’accédants à la propriété trouvent dans la sociabilité résidentielle, ainsi que dans la forte vie associative de ces petites communes (association de parents d’élèves, activités sportives, boules…) , une « source d’estime sociale » et « de reconnaissance sociale ». Ces mobilisations associatives, si elles diffèrent des pratiques propres aux classes moyennes, «légitiment l’entrée de nombreux ouvriers et techniciens sur la scène politique municipale ». L’image du « huis clos de l’égo » en prend un sacré coup.

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