Des enquêtes d’opinion montrent régulièrement que les habitants des grandes villes préfèreraient vivre dans une plus petite ville (50% des franciliens par exemple). Jusqu’à récemment, ce souhait était en contradiction avec les objectifs de productivité globale de notre société, car les techniques du 20ème siècle nécessitaient l’agglomération de millions de travailleurs et consommateurs. Nous avons donc constitué des mégapoles, sorte de camps de travail sans clôture, où les humains se massent pour gagner leur vie. En France, Paris est particulièrement symptomatique en raison du centralisme politique.

Pourtant, nous pouvons désormais nous passer de cette concentration. Les technologies qui sont en train de se déployer permettent d’être aussi productifs sans être agglutinés les uns sur les autres. Pour cela, les ruptures technologiques doivent être accompagnées de changements institutionnels, porteurs de logiques différentes d’urbanisation.

Cet impact institutionnel n’est pas spécifique à la révolution en cours. Les précédentes révolutions scientifiques/techniques ont également entraînés des ajustements institutionnels, pour notre plus grand bien. L’agriculture a rendu nécessaire la constitution de cités-états pour gérer les stocks de nourriture. L’imprimerie a facilité l’extension du droit de vote, en rendant l’information largement disponible. Les énergies fossiles ont tellement accru la productivité qu’elles ont dégagé des moyens pour la création d’un état social (éducation, sécurité sociale, retraite…). Les réalités technologiques du 21ème siècle vont nous permettre de franchir encore une étape.

Nous allons donc envisager dans la deuxième partie de ce billet des modifications institutionnelles qui permettraient de profiter pleinement des avancées technologiques, en améliorant notre aménagement du territoire. Mais commençons tout d’abord par revenir sur les causes de la situation actuelle.

COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA

4 raisons principales à l’aménagement actuel du territoire français :

1. Les techniques les plus productives du 20ème siècle ont incité à la concentration des habitants dans des mégapoles. Citons par exemple :

  • dans les usines, la standardisation des produits et le travail d’hommes à la chaîne (Fordisme), qui demandent beaucoup d’ouvriers sur peu de sites pour maximiser les gains d’échelle
  • les énergies fossiles (y.c. nucléaire), dont le rendement augmentent avec la taille de l’installation. On a donc intérêt à faire de grosses centrales, donc de grosses villes à côté pour consommer, afin de réduire les pertes joules et les investissements dans les lignes
  • la communication version papier (souvenez-vous, formulaires en 3 exemplaires, photocopies innombrables…) incite à la proximité géographique pour ne pas être trop lente. La communication par téléphone est inconfortable pour de longues discussions, surtout à plusieurs. Le fax est trop lent pour permettre de travailler en temps réel autour d’un document
  • l’industrialisation de la construction de logements, bureaux, résidences de tourisme, pour faire face au boom démographique sans que cela coûte trop cher
  • le train (métro/RER dans les mégapoles et TGV pour relier les mégapoles), meilleur compromis de transport du moment, à la fois peu polluant et peu cher… si la concentration urbaine est suffisamment forte. Notre empreinte écologique y a probablement gagné, car les personnes vivant en zone dense ont moins utilisé leurs voitures aux hydrocarbures

2. Le droit du travail français, basé sur une tradition d’emploi à vie, fige les positions (celui qui va à la chasse perd sa place). L’emploi à vie était compréhensible quand l’évolution des techniques était lente, et que le renouvellement des générations suffisait à l’adoption des nouvelles méthodes de travail. Il était également plus facile à mettre en oeuvre quand seul un membre de la famille travaillait. Maintenant qu’il est courant que les deux parents aient un emploi, la mobilité des familles est compliquée. Il est relativement facile de trouver un bon job dans une ville moyenne, plus difficile dans trouver deux. Les couples préfèrent donc rester dans une grande ville.

3. Le “mille-feuille” territorial, dont chaque strate essaye d’exister sans en avoir les moyens :

  • les communes étant de tailles totalement inégales (de 1 à 450 000 habitants), on ne peut pas leur donner beaucoup de pouvoir
  • les communautés de communes sont dirigées par des élus au suffrage indirect, donc peu légitimes pour impacter significativement nos vies
  • les députés n’ont aucun pouvoir sur leur canton
  • les départements et régions ont des moyens financiers leur permettant tout juste de faire face aux obligations de service dictées par l’Etat

4. Enfin, l’Etat français est un des plus vieux du monde. La longue succession de monarchies et d’empires a structuré une culture centralisée autour de la capitale, siège du pouvoir dictatorial. Même les dernières résurrections (1944 et 1958), pourtant républicaines, ont nécessité une phase transitoire de pleins pouvoirs d’un grand homme, figure incarnant la nation. La ville capitale, siège de quasiment tous les pouvoirs, a donc concentré toutes les attentions. Les institutions et investissements publics y étant regroupés, les grandes entreprises y ont accolé leurs sièges sociaux.

Tout cela a incité à la constitution de méga-usines, de méga-centrales électriques, de sièges sociaux et ministères façon Versailles… Et donc, pour loger tout ce beau monde : des villes gigantesques, des transports collectifs toujours en retard de 20 ans sur les besoins, des autoroutes 2*5 voies, des habitations et des bureaux vertigineux (le vertige est une sensation grisante le temps d’une visite, mais tous les jours…), des complexes touristiques de masse…

Ces mégapoles ont d’ailleurs été utiles, et peut-être indispensables, dans la mise en place de grandes choses en matière de santé, d’éducation, de partage du savoir, de communication entre les peuples… C’était probablement le meilleur choix dans ces circonstances, mais les inconvénients sont nombreux.

POURQUOI (PRESQUE) TOUT LE MONDE EN PATIT

– Les personnes qui vivent dans les grandes villes, particulièrement en Ile-de-France, sont évidemment les premières à en souffrir. Reprenons quelques-unes des raisons :

  • Les transports y sont une grande perte de temps, voire une souffrance
  • Le coût du logement absorbe une part croissante des revenus
  • La pollution et tous les problèmes de santé qui vont avec
  • Les mégapoles créent peu de sentiment d’appartenance à une communauté locale. Nos limites biologiques font que nous ne pouvons pas retenir les visages et noms de millions de gens. Au-delà d’un certain nombre de “voisins”, nous abdiquons, nous nous replions sur notre famille et nos collègues. Cela réduit notre implication personnelle dans la vie de la cité, car notre poids y est infinitésimal
  • Les villes de plusieurs millions d’habitants doivent être subdivisées administrativement en de multiples communes, voire départements, avec chacun leurs pouvoirs politiques, ce qui entraîne des incohérences, voire des décisions volontairement contraires, par positionnement politicien
  • La météo et le paysage : les capitales économiques ne sont pas forcément aux endroits les plus agréables. Hasards de l’histoire, ou peut-être résultat des efforts supplémentaires demandés par le climat (contre exemple : Silicon Valley)

– Les habitants des villes moyennes pâtissent également de cette situation, à travers le manque d’emplois qualifiés, trop concentrés dans les grandes villes. Ils ont donc le choix entre vivre de petits boulots dans leur ville de naissance ou s’entasser dans un 2 pièces d’une banlieue sans âme (j’exagère à peine)

– La société française dans son ensemble en pâtit

  • Faire partie d’une ville-monde diminue la dynamique d’ouverture aux autres, car on semble pouvoir vivre en vase clos. La communication entre ses habitants et le reste de la société est donc limitée. Pour faire une analogie, pensons aux petits pays comme les Pays-Bas ou le Danemark. Ces petites communautés sont plus ouvertes sur leurs voisins, à travers les échanges économiques et l’apprentissage des langues étrangères par exemple. Pour une ville, je pense que c’est pareil. La compréhension entre les français des mégapoles et les autres est donc difficile.
  • Etant donné le manque de communauté géographique à taille humaine, lieu où l’on connait personnellement ses voisins, des communautés de repli se développent. Ces communautés de repli comblent le besoin naturel des êtres humains pour une collectivité de proximité, et donc de confiance. Citons par exemple :

– le “familisme” (ou individualisme pour les célibataires), c’est à dire le resserrement de l’attention sur la famille restreinte (parents + enfants)
– le développement de quartiers selon la richesse des habitants. La distance entre le centre-ville et la périphérie est telle que les habitants de la périphérie viennent rarement en centre-ville, et vice-versa. Le phénomène de banlieue oubliée, de ghettoïsation d’une part importante de la population est fréquent
– encore et toujours des discriminations ethniques, se manifestant par exemple par la volonté de fermeture des frontières, ou par des embauches sélectives
– des crispations religieuses instrumentalisées
– l’envie de défendre une langue “de coeur”, francophonie ou langue régionale, comme un rempart à une globalisation écrasant les cultures locales

  • Le coût global des transports est excessif (un usager francilien ne paye qu’un quart du coût, le reste étant payé par des impôts). Diverses études sur les transports urbains estiment que le coût de transport est minimal autour de 300 000 habitants
  • Un urbain est très peu en contact avec l’agriculture. Cette activité essentielle pour la santé peut donc dériver vers tous les excès sans que l’opinion s’en émeuve. De manière générale, les dégâts sur la biodiversité sont invisibles pour ceux qui côtoient la nature uniquement dans des parcs urbains, qui n’ont rien de naturel. Or, cette biodiversité profite à tout le monde
  • Le regroupement de nos institutions et centres de décision dans un même lieu est un risque financier pour tout le pays (ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier). Avec la centralisation française sur Paris, lors de la prochaine crue centennale de la Seine, le pays sera fortement handicapé pendant des mois, voire des années
  • L’enrichissement opportuniste des familles originaires des mégapoles, en raison de l’explosion des prix du foncier, est contre-productif pour la société puisqu’il ne récompense pas une valeur ajoutée pour la société
  • Les épidémies se propagent plus facilement quand les populations sont concentrées

– Les seuls qui profitent de cette centralisation sont :

  • ceux qui peuvent vivre et travailler dans l’hyper-centre, avec quelques minutes de transport par jour. Je crains qu’il y ait justement parmi eux ceux qui font les choix d’aménagement pour nous tous (dirigeants de l’Etat, des administrations et des grandes entreprises)
  • les touristes, dont nous faisons occasionnellement partie. Paris ne serait probablement pas la première attraction mondiale sans cette concentration de monuments et d’infrastructures. Notons d’ailleurs que les Parisiens connaissent souvent moins bien les belles choses de leur ville que les provinciaux, voire que des touristes étrangers

POURQUOI PEUT-ON DESORMAIS EN SORTIR

Les techniques qui se développent depuis quelques décennies pour certaines, et depuis le début de ce siècle pour d’autres, permettent de produire efficacement dans un cadre de vie à taille humaine. Il s’agit en particulier de :

  • plus de dématérialisation. La proximité physique n’est plus indispensable aux affaires : visioconférence intégrée à chaque PC/smartphone avec traduction automatique si besoin, information en temps réel, achat/vente à des clients à travers le monde sur des plateformes web, enseignement en ligne… Quand les nouveaux patrons seront plus à l’aise avec les outils informatiques, faire des réunions par Skype leur sera naturel et ils seront plus enclin à être géographiquement séparés d’une partie de leurs équipes. Il faudra aussi que les différents systèmes de visiophonie soient inter-opérables, à l’image des systèmes de téléphonie
  • plus d’énergies vertes, accompagnées d’économies d’énergie et de systèmes de stockage d’énergie pour lisser l’intermittence de la production. Ces énergies sont plus facilement miniaturisables, donc décentralisables. L’efficacité énergétique ne nécessite donc plus de grouper les gros consommateurs autour de grosses centrales électriques
  • plus d’automatisation. Les usines peuvent ainsi fonctionner avec de moins en moins de travailleurs (automobile, sidérurgie…), donc dans des villes moyennes, où les coûts sont moindres (locaux moins chers, moins de perte de temps dans les transports)
  • des bus électriques et autonomes (sans chauffeur), qui permettent de rendre le même service de transport collectif propre et économe qu’un métro ou tramway, sans la concentration de population nécessaire à ces derniers (des tests ont lieu à La Rochelle entre autres). Comme les chauffeurs représentent plus de 50% du coût d’exploitation d’un réseau de bus, les petites villes vont pouvoir augmenter significativement le nombre de lignes, la fréquence et les plages horaires. Notons enfin que pour les voies rapides, une simple 2*2 voies suffira, grâce aux faibles distances de sécurité permises par les véhicules automatiques
  • de l’impression 3D, qui permet de produire dans de petits ateliers près du client

Pour synthétiser, le gigantisme n’est plus nécessaire. On peut enfin dire “small is beautiful”.

COMMENT ACCOMPAGNER CE CHANGEMENT TECHNOLOGIQUE

Afin de profiter de tous les avantages apportés par ce changement technologique, il faut toutefois modifier certaines législations, institutions et logiques de développement :

1. En encourageant la migration géographique et sectoriel des français. Avec un système de type flex-sécurité, les contrats de travail (privés et publics) sont beaucoup plus souples, donc les postes tournent plus facilement. Les familles peuvent envisager plus simplement de déménager, et les travailleurs peuvent se reconvertir plus facilement grâce à un vrai système de formation professionnelle tout au long de la vie (plutôt que tout avant l’âge de 25 ans). Il s’agit en quelque sorte de retrouver l’état d’esprit des trente glorieuses, où l’on pouvait démissionner un jour et retrouver un poste la semaine suivante. Des pays connaissent encore aujourd’hui quelque chose de proche : Allemagne, USA, Danemark… C’est à dire des taux de chômage faibles, mais surtout des durées de chômage courtes

2. En mettant l’organisation institutionnelle et l’aménagement physique de nos territoires en phase avec les technologies du 21ème siècle. Nous pouvons y gagner un meilleur cadre de vie, et probablement une meilleure productivité. Une ville au 21ème siècle n’a pas besoin d’être géante pour être efficace et agréable.

L’enjeu est donc d’avoir des agglomérations :

  • suffisamment petites pour répondre au besoin d’une communauté locale soudée, basée sur des rapports humains directs, inspirant confiance, redonnant envie de coopérer et de s’engager dans la vie de la cité. La compétition est probablement le système le plus efficace à grande échelle, mais il est contre-productif quand il crée la défiance au niveau local
  • suffisamment grandes pour permettre le développement des activités économiques les plus massives

Comme il faut bien donner un ordre de grandeur, les différents arguments que nous développerons ci-après penchent pour des entités géographiques de 500 000 habitants maximum. Cette maille clé, que nous allons appeler “neocommune” dans le reste de l’article, aurait les caractéristiques suivantes :

  • aucune neocommune n’est institutionnellement au-dessus des autres, donc aucune n’est indispensable à la survie du réseau. Certaines peuvent avoir des spécificités historiques ou géographiques (port, aéronautique, tourisme…), certaines se développent plus vite grâce à de bons élus ou un bon aménagement, mais le maillage des neocommunes doit rester équilibré (nous verrons comment)
  • grande autonomie politique (nous détaillerons plus bas les responsabilités), afin de fédérer la population autour d’un territoire et d’un projet de vie. Notons à ce propos que les petits pays utilisent fréquemment le principe de coalition politique, ce qui permet de réduire les divisions purement politiciennes de la population
  • une neocommune est typiquement constituée d’un centre urbain et d’une périphérie rurale, sauf pour les agglomérations déjà trop grandes, où il faudra faire avec l’existant. Chaque neocommune doit être autorisée à protéger son agriculture locale, afin de superviser la qualité sanitaire des produits et la non-dégradation des sols et des cours d’eau. Bien sûr, les habitants ne sont pas obligés d’acheter local, mais les prix modérés permis par les circuits courts modernes (web + drive mutualisé) devraient les intéresser
  • en dehors de l’eau et de l’agriculture, produits suffisamment vitaux pour que l’on accepte le protectionnisme économique, la liberté de circulation des personnes, produits et services doit bien sûr être totale avec les autres neocommunes de l’union européenne
  • pas de possibilité de s’endetter pour les frais de fonctionnement, uniquement pour les investissements, comme nos collectivités locales actuelles

Afin de mieux se représenter de quoi on parle, voici quelques ordres de grandeur appliqués à la France :

  • une neocommune équivaut à la population de la commune de Toulouse (450 000 hab) ou du département du Vaucluse (550 000 hab) ou des agglomérations d’Avignon, Montpellier ou St-Etienne
  • il pourrait y avoir environ 200 neocommunes en métropole
  • rayon moyen d’une neocommune : 30 km. Si le centre-urbain est de densité faible (6000 hab/km2, soit un mélange d’immeubles de 3/4 étages et de pavillons) et compte 300 000 habitants, il ferait 4 km de rayon. Pour information, la distance moyenne actuelle domicile-travail est de 15 km
  • une dizaine d’agglomérations font actuellement en France plus de 500 000 habitants. Elles resteraient bien entendu ainsi, mais les investissements y seraient limités à l’entretien, et non au développement
  • nous construisons 300 000 nouveaux logements par an (soit 1% des logements), et il y a 300 000 habitants supplémentaires par an, donc la capacité de changer l’aménagement du territoire est significative sur une génération

Pourquoi une neocommune de 500 000 personnes est suffisante pour une économie prospère et dynamique. Quelques exemples concrets :

  • cette taille suffit pour la grande industrie. La plus grande usine de France est Airbus Toulouse, qui emploie 13 000 personnes (50 000 emplois pour tout le secteur aéronautique Toulousain). Autre exemple, la future “méga-usine” de batteries de Tesla au Nevada emploiera 6500 personnes. Elle sera implantée à côté de la ville de Reno, dont l’aire urbaine compte 425 000 habitants, et qui est située à 200 km de la grande ville la plus proche
  • cette taille suffit pour le siège social d’une grande entreprise. Le meilleur exemple est la répartition des entreprises allemandes dans des villes moyennes, voire petites : Stuttgart (Daimler, SAP), Wolfsburg (Volkswagen), Herzogenaurach (Adidas), Düsseldorf (E.ON, Metro), Mannheim (BASF), Munich (Siemens, BMW). L’éloignement d’une mégapole, d’un aéroport international ou d’une ligne TGV ne leur pose visiblement pas de problème
  • en France, nous avons un exemple dans le CAC 40 : Michelin emploie 12000 personnes (siège, recherche, usine) dans l’aire urbaine de Clermont-Ferrand (470 000 habitants). Notons de plus que les effectifs des autres groupes du CAC 40 sont répartis sur de nombreux sites de quelques milliers de personnes chacun, en Ile-de-France ou en province. Mais symboliquement, le siège social est sur Paris
  • concernant l’administration, l’histoire allemande nous offre également un exemple intéressant, puisque la majorité des fonctionnaires gouvernementaux est localisée à Bonn, tandis que le gouvernement est à Berlin
  • côté recherche, des laboratoires et équipements de pointe fonctionnent déjà dans des villes petites ou moyennes : Grenoble, installations nucléaires dans le vallée du Rhône, Pau (Total)…

Pourquoi le cadre de vie dans une telle neocommune peut être plus agréable et les affaires plus efficaces :

  • les transports y sont plus fluides (le top 10 des villes les plus embouteillées de France est quasiment celui des plus grandes) et plus courts (les temps de trajet domicile-travail sont plus petits dans les régions peu denses). Les villes moyennes qui ont aujourd’hui des soucis sont celles dont le développement a été mal anticipé ou qui sont contraintes géographiquement (relief ou mer qui accule, ponts à construire sur le fleuve)
  • le développement d’une ville peu dense est rapide. La construction de logements ou bureaux supplémentaires est plus simple que dans une mégapole, où il faut prévoir par exemple des métros supplémentaires, ce qui prend des décennies. La réactivité et la souplesse sont des atouts pour s’adapter aux évolutions sociétales et technologiques
  • 500 000 habitants est une taille suffisante pour avoir des grands équipements de service : hôpitaux, diversité de salles de spectacles (opéra, théâtre, concert…), musée, grand stade
  • dans la Silicon Valley, les entreprises en forte croissance comme Google, Apple, Facebook construisent des lieux de travail et de vie avec une faible densité d’occupation des sols. Au lieu de créer des tours de bureaux au coeur de San-Francisco ou New-York, ils prévoient des petites villes autonomes, avec leurs propres logements et commerces. Ce modèle pose un problème de mixité sociale, mais il est intéressant au niveau urbanisme
  • à plus de 500 000 habitants, l’essentiel de la population ne peut plus se réunir, les jours de fête ou de commémoration, sur la place centrale de l’agglomération (la plus grande place de France est la Place des Quinconces à Bordeaux. Avec ses 150 000 m2, c’est déjà limite). Cela peut paraître anecdotique, mais je pense que cela fait partie du ciment d’une communauté
  • dernier point, qui est plus une remarque qu’une analyse : les reportages sur les entreprises qui fonctionnent harmonieusement ont généralement lieu dans des petites villes. Les employés des entreprises implantées dans les petites villes sont probablement plus solidaires avec leurs collègues que ceux des mégapoles, ce qui doit améliorer la productivité

Enfin, voyons le contenu du pouvoir à confier à chaque neocommune. Il s’agit de la responsabilité intégrale des questions de vie quotidienne, où la coordination avec les autres neocommunes entraîne trop de lourdeurs inutiles. Pensons au cas de pays de cette échelle comme l’Islande (330 000 hab) ou le Luxembourg (550 000 hab), qui arrivent très bien à gérer ces domaines. Par exemple :

  • éducation, de la maternelle au lycée. Chaque neocommune peut choisir son rythme scolaire et faire évoluer les programmes. Elle les partage avec les autres, façon “open-source”. Les établissements sont publics ou privés à but non lucratif
  • accompagnement des personnes âgées : maisons de retraite, aide à domicile…
  • encadrement de la médecine de ville et des hôpitaux, qui peuvent être des établissements privés à but non lucratif
  • aménagement du centre urbain
  • conservation de la périphérie rurale, de son agriculture et des sites naturels
  • police de proximité
  • justice, tant que le préjudice ne concerne qu’une neocommune
  • soutien aux activités artistiques, sportives…

3. Pour promouvoir des neocommunes équilibrées sur tout le territoire, il faut remettre en place des objectifs et des principes d’aménagement du territoire.

Voyons tout d’abord quelques exemples de politiques d’aménagement passées ou présentes qui peuvent nous inspirer (ou servir de contre-exemple) :

  • au 19ème siècle, l’aménagement du territoire s’est fait autour des communes (où l’on vit et travaille) et des départements (avec une préfecture, lieu du marché central et des investissements de l’Etat). Ces 2 échelons correspondaient aux réalités techniques de l’époque (parcours réalisable en une journée respectivement à pied et à cheval). Après guerre, la création de la région a pris acte des distances parcourables en voiture. De nos jours, la cellule de vie quotidienne est l’agglomération et le marché est à l’échelle du continent (la crise actuelle le montre même pour le marché du travail)
  • l’investissement national dans les villes moyennes a longtemps pris la forme de casernes et bases militaires. Maintenant que les casernes fermes (ce qui est une bonne chose en soi), les investissements publics dans les villes moyennes doivent prendre d’autres formes
  • la politique des villes nouvelles a tenté de remédier aux problèmes des mégapoles, mais les réalités techniques de l’époque (surtout la lenteur des communications à longue distance) ont incité à les placer près d’une grande ville. Elles se sont donc fait cannibaliser par la croissance effrénée de la ville centre. De plus, ces villes n’avaient pas d’histoire propre, d’âme pourrait-on dire
  • Sophia Antipolis est une idée pas inintéressante, mais de trop faible ambition. Il n’y a pas de ville, juste un joli quartier d’affaires
  • la dernière tentative en date est la stratégie des pôles de compétitivité. Elle a 10 ans d’âge, donc c’est peut-être trop tôt pour juger. En regardant le nombre d’acteurs publics en jeu, on craint l’usine à gaz, mais certains pôles semblent fonctionner. Espérons que les réductions de crédits en cours ne signent pas leur mort
  • les seules politiques de territoire qui marchent en France depuis plusieurs décennies sont des politiques de non-aménagement : conservatoire du littoral pour protéger nos côtes d’un développement non-harmonieux, parcs naturels, préservation des sites et monuments historiques. Tout cela est utile, mais ça ne suffit pas dans un pays avec une croissance démographique comme la nôtre. Il faut également penser la ville que l’on souhaite, sinon le développement est anarchique

2 idées pour un mécanisme d’aménagement du territoire au 21ème siècle :

  • concentrer les investissements publics (Etat et UE) dans les villes non saturées, pour y créer des établissements de recherche, d’apprentissage ou d’art, et des pépinières d’entreprises. Si les autres conditions décrites ici (flex-sécurité, autonomie des neocommunes) sont respectées, les autres acteurs suivront. L’innovation, et donc la croissance, ne vient pas du coeur historique. L’investissement sur le coeur historique nous fait tourner en rond sur notre passé (c’est tout juste bon pour le tourisme). L’innovation vient des territoires à la marge. C’est parce que les USA ont investi (à travers l’armée en l’occurence) sur un territoire faiblement peuplé de Californie, autour d’une université privée de campagne (Stanford) que la Silicon Valley est née
  • dissuader la croissance des agglomérations au-delà d’une certaine limite, par une progressivité des taux d’imposition sur les sociétés en fonction du nombre d’habitants de la neocommune. Ce surplus d’impôts est justifié par les surcoûts et les nuisances induites par cette densification excessive

Pour conclure ce chapitre, prenons un peu de recul. Ce n’est peut-être pas un hasard si les pays qui marchent le mieux économiquement sont grandement décentralisés géographiquement (voire politiquement) : USA peu à Washington, Allemagne peu à Berlin, Chine peu à Pékin. L’Angleterre pour sa part est centralisée sur Londres, mais elle compense cela par une continuelle mutation de la capitale, avec d’immenses chantiers au coeur de la ville (on peut ne pas aimer côté esthétique). La France est centralisée sur un coeur “muséifié”, ce qui étouffe les entreprises parisiennes sous la complexité et les surcoûts, et ce qui freine la croissance des entreprises de province par manque de visibilité. Résultat, aucune entreprise du CAC 40 n’a moins de 30 ans. Il faut que l’on prenne conscience que 80% des français n’habitent pas en Ile-de-France, et que nous avons donc là un énorme réservoir de croissance.

QUID DES NIVEAUX DE GOUVERNANCE SUPERIEURS

La question européenne n’est pas l’objet de cet article, mais je veux malgré tout montrer que ce mouvement de re-localisation des pouvoirs n’est pas contradictoire avec la construction européenne. C’est peut-être même un bon moyen d’avancer vers plus d’intégration européenne, en permettant à l’Union de ce concentrer sur les questions nécessitant réellement une politique commune à l’échelle du continent voire du monde : fiscalité (afin de mettre fin à “l’optimisation fiscale”), recherche scientifique, développement équilibré des territoires, climat, terrorisme, pandémies…

Si cette intégration renforcée ne peut pas se faire à 28 pays, ou même à 19 pays (zone Euro), il faut l’envisager avec nos voisins directs. Certains devraient être ouverts à l’idée de fédération d’agglomérations, étant eux-mêmes des fédérations (Allemagne) ou étant traversés de volontés autonomistes (Catalogne, Ecosse, Flandres…).

Cette union renforcée aurait un gouvernement dépendant directement du suffrage universel, selon le système allemand par exemple, où le gouvernement est issu de la majorité du parlement. Nous pourrions alors confier à ce gouvernement et ce parlement quasiment tout ce qui n’est pas de la responsabilité des neocommunes. Voici une liste non exhaustive, sans ordre particulier :

  • recherche scientifique : financement des laboratoires et autres grands équipements, du spatial…
  • supervision de l’enseignement supérieur (pour l’organisation des passerelles, des équivalences de diplômes…) et financement des étudiants qui obtiennent des résultats, afin de couvrir leurs frais de scolarité. Les établissements peuvent être des organismes privés à but non lucratif
  • police et justice “continentale”, pour les délits trans-communaux et le respect du droit européen
  • armée et politique étrangère
  • politique d’immigration
  • monnaie (et donc suivi financier des neocommunes, pour s’assurer qu’elles ne s’endettent pas pour les frais de fonctionnement)
  • respect de l’écosystème Terre (climat, océans, biodiversité…)
  • politique d’aménagement du territoire vue précédemment
  • droit du travail (puisque le marché du travail est ouvert), donc assurance chômage et retraite !
  • définition des taux d’imposition (sur les sociétés, revenus, consommation, pollution…), collecte des impôts et redistribution aux neocommunes (au prorata de ce qui “drive” les coûts, à savoir le nombre d’habitants et d’emplois). On empêche ainsi la concurrence fiscale au sein de l’union, et donc la “dissimulation fiscale” des grandes fortunes et des multinationales

Dans ce schéma, les niveaux de gouvernance entre la neocommune et l’union renforcée (pour la France : département, région, état) peuvent devenir de simples instances de gestion des infrastructures et des biens environnementaux inter-communes :

  • construction et entretien des routes inter-communes
  • construction et entretien des lignes de chemin de fer (l’essentiel du financement des LGV vient déjà des collectivités locales et d’investisseurs privés)
  • gestion des fleuves, et plus généralement des bassins versants

Avec une telle organisation, nous remplacerions nos innombrables élections actuelles (où nous sommes bien incapables de juger l’action des sortants) par 2 élections directes :

  • l’élection du conseil municipal de la neocommune
  • l’élection du parlement de l’union renforcée

Les niveaux intermédiaires seraient élus par vote indirect des conseils municipaux, comme les communautés de communes actuelles.

L’effacement des Etats est déjà en cours (décentralisation, mouvements autonomistes, transferts vers l’Europe, privatisations…). C’est naturel dans la mesure où leurs fondements sont en train de disparaître (barrière des langues, insécurité intra-européenne…). Nos frontières d’aujourd’hui sont l’agglomération (pour notre vie quotidienne) et l’occident (pour le mode de vie). Les institutions qui les représentent seront donc les plus légitimes.

PREMIERES ETAPES

Mais avant de pouvoir traiter ces problématiques européennes, nous devons mettre de l’ordre en France, en avançant sur le remembrement administratif et la rationalité des investissements. Détaillons quelques actions concrètes possibles rapidement.

Concernant le remembrement administratif :

  • fusionner les communes au sein de leur communauté de commune, jusqu’à atteindre quelques centaines de milliers d’habitants
  • supprimer les départements et régions, et confier l’essentiel de leurs tâches aux neocommunes (selon le schéma décrit précédemment). Le mouvement actuel de réduction du mille-feuilles ressemble plutôt à une re-centralisation, puisque les agglomérations ne sont pas consolidées et donc prêtes à assumer des responsabilités plus grandes

Il y a toutefois le cas du grand Lyon, où la politique institutionnelle mise en oeuvre va vers plus de simplicité. A mon sens, Lyon est une agglomération déjà trop grande pour être agréable et agile, mais il faut bien gérer l’existant.

Concernant les investissements, nous devons décourager les projets anachroniques, pour envisager des solutions de long terme. Je vais prendre 3 exemples :

  • métro du Grand Paris. Le développement immobilier qu’il va engendrer va rendre ce nouveau métro surchargé en quelques années, donc rapidement augmenter les problèmes de transport au centre. Ce n’est pas en agrandissant encore et toujours l’agglomération que nous allons résoudre les problèmes de transport, nous allons au contraire les aggraver. Pour donner un ordre de grandeur, les 30Mds€ de ce métro permettraient d’acheter 100 000 bus, soit 500 par neocommune, soit de quoi équiper 38 lignes par neocommune (la RATP a en moyenne 13 bus par ligne). De quoi équiper toute la France donc…
  • regroupement universitaire sur le plateau de Saclay. L’idée paraît séduisante au premier abord, mais elle sera dépassée dans quelques années. Tous les chercheurs et étudiants auront des écrans géants dans leur bureau/chambre, leur permettant de suivre les cours des meilleurs professeurs, d’où qu’ils viennent. Pour les “travaux pratiques”, le laboratoire de leur spécialité peut fonctionner n’importe où, le matériel le constituant venant de toute manière du monde entier. Le modèle que nous poursuivons (Stanford) était celui du 20ème siècle, celui du papier et de l’amphithéâtre. Par ailleurs, il conduit à une ghettoïsation des territoires, avec toutes les écoles et laboratoires de recherche dans une région, et les “moins éduqués” dans une autre. Le principe de développement de l’Ecole d’Economie de Paris (PSE en anglais) est bien plus intéressant
  • le TGV est pertinent pour un territoire fait de mégapoles et/ou sites touristiques entourés d’un no man’s land, entre lesquels il peut monter à haute vitesse. Le TGV n’a aucun intérêt avec une gare tous les 60 km par exemple. Construire de nouvelles lignes, c’est perpétuer un modèle de développement concentré, encore plus quand les lignes sont en étoile autour de la capitale. Peut-être que la solution viendra d’un mix entre avions neutres en CO2 (méthane de synthèse) et autocars sans chauffeur sur des voies rapides fluides (puisque les flux entre villes moyennes sont diffus)

En somme, les 2 mots clés sont simplicité et transversalité. Pour faire un parallèle entre le réseau des villes et le web, la croissance rapide de ce dernier vient de la simplicité technique des composants de départ (de bons vieux fils de cuivre, un modem à quelques dizaines d’euros, des lignes de code à la portée de millions d’informaticiens…) et de la transversalité des échanges (pas de coeur centralisant tout le système, l’innovation vient donc d’un peu partout en même temps).

CONCLUSION

Quand la vitesse des évolutions technologiques et sociétales s’accélère, ce qui était du long terme devient du court terme. Ce qui passait pour de l’utopie (dans 100 ans ou plus) devient l’horizon d’une carrière (moins de 30 ans). Nous ne devons plus reporter sur les générations futures les projets dont toutes les briques techniques sont prêtes. Ce serait une faute professionnelle. Les politiques, quelles soient publiques ou entrepreneuriales, doivent voir de plus en plus loin dans les temps techniques, qui suivent désormais une courbe exponentielle. Elles doivent de moins en moins se préoccuper des informations en temps réel, et de plus en plus de l’horizon. A cette vitesse, le moindre écart dans la trajectoire de départ fait manquer irrémédiablement la cible.

L’aménagement du territoire est le domaine dans lequel ce phénomène est le plus crucial, car c’est lui qui a les plus longues durées d’amortissement. Les investissements dans les infrastructures de transport, d’habitation ou de bureaux sont à rentabiliser sur des décennies. Ce que l’on construit aujourd’hui doit être pertinent pour 2050 et au-delà. Cela vaut bien un débat.

Sébastien Colineaux.