Bimby, une alternative au « malthusianisme foncier » ?

Bimby, une alternative au « malthusianisme foncier » ?

Bimby - Logements - Scot

Les dernières élections municipales ont rebattu les cartes et nombre d’opérations de logements ont été retardés, voire tout bonnement annulés. Alors, le slogan « maire bâtisseur, maire battu », lancé dans les années 70 par le maire de Créteil, Pierre Billotte, prendrait-il ici tout son sens ?

Derrière ce titre volontairement provocateur, se cache bien sûr la crise du logement avec ses 800 000 à un million de logements manquants et plus particulièrement l’arrêt du nombre d’opérations immobilières. La faute à qui ? Les maires sont souvent pointés du doigt. Et, l’effet des changements de bords politiques lors des dernières élections municipales de mars tendrait même à le prouver.

A ce titre, les chiffres sont têtus : selon une enquête menée par l’USH (Union Sociale de l’Habitat) auprès de ses organismes, arrêtée en août 2014, 400 opérations immobilières sont bloquées en France depuis les élections municipales. Une situation que Jean-Louis Dumont, Président de l’USH, a déplorée lors du dernier congrès de l’organisme fin septembre, d’autant qu’environ 12 000 logements sont concernés dans les zones les plus tendues (Ile de France, Paca, Rhône-Alpes).

Mais, le logement social n’est pas le seul à l’arrêt.
Le 20 juin, lors du congrès de la Fédération des promoteurs immobiliers, son président, François Payelle, a également alerté les élus locaux : « Certes, on peut comprendre que les nouveaux élus veuillent revisiter les choix antérieurs, mais le blocage devient majeur. » Il estimerait à 10 000 le nombre de logements privés qui ne se construiront pas. Inquiétude également du côté de la région Ile-de-France, à travers les mots de son président Jean-Paul Huchon en septembre : « 43 sites ont été recensés par l’Institut d’Aménagement et d’urbanisme (IAU) d’Ile-de-France et le conseil régional où sont engagées des opérations majeures représentant 20 000 logements. Nous veillerons à ce que ces projets soient menés à leur terme », tout en rappelant qu’en juin il s’était déjà inquiété de 5000 logements arrêtés par des nouveaux maires.
Alors, les maires bâtisseurs auraient-ils fait leur temps ?

 

Pression des administrés

 

Les freins à la construction de logements sont connus.  D’abord, il y a les objectifs électoraux. Pour se faire élire, beaucoup de nouveaux maires ont mené leur campagne sur le thème de la lutte contre le bétonnage excessif de la ville, contre la densification, mais pour la préservation des espaces verts. Le blocage perçu à la suite des élections municipales de 2014 qui demeure plus important que celui enregistré lors de l’élection municipale de 2008 (en raison du renouvellement plus fort des équipes municipales et de l’attentisme des maires du fait de la réforme territoriale en cours)  met en lumière une tendance de fond. « Pour l’élu, le logement est un objet compliqué avec une interdépendance. La construction de logements est populaire chez les administrés lorsqu’elle est loin de chez eux, mais impopulaire au stade individuel », constate Jean-Claude Driant, professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris (Cité Descartes). Et il existe toujours ce malthusianisme foncier et cette inquiétude de voir, avec le logement social, changer la structure de la population et donc éventuellement le rapport de forces politiques.

Même son de cloche chez François Payelle : « Il est clair qu’il y a aujourd’hui un problème de malthusianisme des collectivités locales. On entend de plus en plus le discours suivant : «Plus rien pendant six ans !  Mes habitants ne veulent plus que ma ville bouge donc, je ne construis plus. Et on se trouve face au décalage entre le discours des élus qui dans leur grande majorité sont convaincus qu’il faut construire ces 340 000 logements par an pour aider à atténuer la crise du logement et leur attitude face à leurs administrés, c’est-à-dire  le « NIMBY », le « not in my backyard », c’est-à-dire « construisez mais pas chez moi ». Car qui dit logement dit nouvelles populations et donc dit nouveaux équipements et dépenses supplémentaires ».

Par peur d’être sanctionnés, les élus doivent souvent orchestrer des arbitrages pour ne pas brusquer leurs administrés qui craignent une baisse de la valeur de leur patrimoine  « Les maires ont toujours pris des risques, mais aujourd’hui les risques sont plus élevés, estime Denis Burckel, directeur du master « Management de l’immobilier » à l’Université Paris-Dauphine. Dans la phase actuelle de haut niveau des prix de la construction, le maire va dire : si je ne construis plus, je maintiens la rareté des biens et garantis la valeur patrimoniale ; à l’inverse si je construis, je vais augmenter les impôts locaux pour investir dans les équipements et leur fonctionnement nécessaires à ces nouveaux logements ». Et d’ajouter que « la résistance des insiders (habitants en place) est grande mais que cette tendance historique de prévention contre les outsiders (les arrivants) s’est renforcée, en raison du poids fiscal pour les accueillir ». Et la baisse du budget des finances locales ne va certainement rien arranger car la pression financière va rendre encore plus douloureuse le financement de ces équipements ». Les maires voient, en fait, très peu d’avantages, considérant que la construction de logements engendre pour la commune des coûts supérieurs aux bénéfices ; les impôts locaux des nouveaux arrivants et occupants n’étant pas toujours suffisants.

Même constat pour Jean-Claude Driant : « Les logements, ça coûte, encore plus lorsque ce sont des logements sociaux, notamment avec les aides allouées. Cette situation prêche d’ailleurs pour l’intercommunalité », juge-t-il. Si les raisons électorales au frein à la construction sont réelles, il estime qu’elles sont discutables. « Car en continuant à l’immobilisme en matière de logements, on fait grimper les prix et les administrés sont conscients que leurs enfants ne pourront pas se loger dans leur commune. D’autres dangers guettent les maires, notamment ceux des zones peu tendues où l’on a déjà trop construit et où les opérations ont du mal à être vendues. S’ils ne font rien, le secteur va encore se détendre avec une mort annoncée du centre-ville au bénéfice des communes périurbaines qui auront grignoté son attractivité ».

 

Illusion perdue

 

Si comme le rappelle Denis Burckel, « la construction de logements est un véritable engagement pour l’élu »,  les coûts politiques de ces opérations sont élevés ; l’adage « maire bâtisseur, maire battu » prend ainsi toute sa dimension.
Dans l’état, cette situation de blocage pourrait-elle s’éclaircir. Pas sûr. Le Baromètre du Courrier des maires-Acef (1), réalisé en septembre auprès d’un échantillon de 500 maires et adjoints (2) montre que 76% d’entre eux font du maintien de l’investissement dans leur commune un enjeu prioritaire et ce malgré des ressources contraintes. Bonne nouvelle. Mais, ils sont autant à affirmer que la création de nouveaux équipements sera le premier secteur affecté par la baisse des dotations. Désormais, le volontarisme se heurte au réalisme financier. Fini le temps du maire bâtisseur : 11% seulement endossent ce rôle contre 37% celui de gestionnaire. Plus inquiétant, trois grands domaines sont délaissés par les élus locaux qui n’en font même pas un des 5 enjeux les plus importants à relever sur la durée du mandat : le logement social ignoré par 70% ; la transition énergétique par 77% et l’application de la loi handicap par 80% (des domaines pourtant portés par des réformes majeures du gouvernement (loi Alur et son objectif de 25% de logements sociaux, loi de transition énergétique et agendas d’accessibilité programmée/Ad’ap).

 

Résistance

 

Même si les maires bâtisseurs tendent à disparaître, on doit ici se garder de toute généralité tant sont diverses les situations locales. On peut aussi souligner que certains maires arrivent tout de même à se faire réélire en construisant, en mettant l’accent sur la rénovation urbaine ou en restructurant les centres villes. D’autres souhaitent faciliter l’installation de nouveaux ménages et de nouvelles activités pour apporter un dynamisme à leur commune. C’est le cas dans certaines villes de Province ou de petites communes rurales qui recherchent tout simplement à dégager des marges budgétaires grâce à des recettes additionnelles. « Le maire bâtisseur, c’est celui qui met en place une politique de développement harmonieuse et qui assume la mise en œuvre des projets déterminés dans son SCOT ou son PLH », estime François Payelle qui affirme quand même que les maires bâtisseurs existent encore. Ceux de Bordeaux, de Montpellier, de Lyon, continuent de construire. Et l’adage « maire bâtisseur, maire battu » ne se vérifie donc pas toujours ».

« Bien sûr qu’il reste des maires bâtisseurs, estime Denis Burckel, qui considère toutefois que les élus n’ont jamais été fondamentalement bâtisseurs. Il se construit quand même 300 000 logements, même si ce chiffre est loin d’être satisfaisant ». Selon lui, les maires se répartissent en trois catégories : « ceux dans les zones denses qui répondent aux pressions très fortes de la population, comme à Paris ; les élus stratèges dans le bon et mauvais sens du terme qui veulent maintenir leur population pour des raisons de rayonnement de leur ville comme à Strasbourg ou de dynamisme et d’attractivité comme à Bordeaux et Lyon ; enfin, les maires du sud de la France et des zones côtières qui doivent faire face à un afflux démographique et sous la pression, n’ont d’autres choix que de construire ». Jean-Claude Driant y croit aussi, mais il faut entendre l’expression maire bâtisseur plus au sens de la maîtrise de l’urbanisme que de la politique de logement.

 

Bonus aux maires bâtisseurs

 

Dans un contexte qui se tend, que faire pour changer la donne ?
La logique : que les maires bâtisseurs mènent leurs opérations de construction sans se préoccuper de leur réélection, que la pression malthusienne des « insiders » contre de nouvelles constructions exercée sur les maires soit supprimée.
Les moyens :  « Il faut favoriser les maires bâtisseurs par des éléments compensateurs. Parmi eux, la dotation globale de fonctionnement (DGF), l’effet PLU intercommunal, voire les permis de construire intercommunaux qui éloignent l’élu de la pression du voisinage », répond Denis Burckel. Notons que le transfert du plan local d’urbanisme à l’intercommunalité (PLUI), proposé par le gouvernement ne fait pas que des heureux parmi les élus locaux.
Concernant les logements sociaux, le Premier ministre a promis l’application dès le 1er janvier 2015 des pénalités renforcées prévues par la loi SRU, c’est-à-dire multipliées par 5, pour les communes ne respectant pas leurs obligations. A partir du 1er janvier 2015, les préfets pourront également délivrer des permis de construire en lieu et place des maires défaillants.
Reste la mesure de soutien aux maires bâtisseurs, annoncée par Manuel Valls et que nombre d’acteurs attendent. L’idée est d’encourager les élus bâtisseurs à travers une bonification de la dotation globale de fonctionnement (principale dotation de fonctionnement de l’Etat aux collectivités locales). Mais on ne sait pas encore si cette dotation sera majorée en fonction du nombre de logements construits ou du nombre de logements sociaux autorisés. Affaire à suivre.

 

 

 

(1) Acef : association pour favoriser le crédit et l’épargne des fonctionnaires et agents des services publics.

(2) 489 maires et adjoints ont répondu. 50% des répondants sont des élus de communes de moins de 5 000 habitants, 32% de communes entre 5 000 et 20 000 habitants et 18 % de communes de plus de 20 000 habitants. 36% effectuent leur premier mandat ; 43% exercent un autre mandat électif ou une présidence. Moyenne d’âge : 56 ans.

Article issu de la page LeMoniteur.fr « Les maires bâtisseurs, espèce en voie de disparition ? »

Thierry DELPLANQUE

Responsable de la communication à la SCP BLEARD LECOCQ

Proudly powered by WordPress | Theme: SpicePress by SpiceThemes