Densifier le pavillonnaire

Densifier le pavillonnaire

rue-pavillonnaireL’urbanisation « diffuse », régulièrement stigmatisée par les urbanistes, est en fait mal connue. Face à cette lacune, on peut formuler l’hypothèse, à contre-courant des idées reçues, qu’une part de ce diffus est liée à de la densification pavillonnaire. L’enjeu est d’importance face à des politiques publiques qui prônent la fin de l’étalement urbain.

La construction de nouvelles maisons sur des parcelles déjà bâties est un mode de densification qui s’effectue spontanément, notamment suite aux initiatives individuelles de division (ou détachement) de ces parcelles, qui créent de nouveaux terrains à bâtir. Cette densification « par le bas » est « aussi vieille que le pavillonnaire» (Léger, 2010 :33), ce qui légitimerait un regard historique sur le rôle de la division parcellaire dans l’urbanisation. Cet article livre une synthèse d’enquêtes de terrain auprès des particuliers acteurs de la densification pavillonnaire, menées dans le cadre d’une recherche en [tooltip title= » » content= »Bimby, acronyme de Build In My Back Yard (construire dans mon jardin), est une recherche financée par l’ANR qui prend le contre-pied de l’attitude Nimby pour promouvoir le renouvellement progressif des quartiers pavillonnaires. » type= »classic » ]urbanisme[/tooltip]. L’identification de ces acteurs ordinaires comble un vide dans nos connaissances sur la ville qui est paradoxal : la construction de maisons individuelles en diffus est régulièrement incriminée comme principale responsable de l’étalement, même si l’on ignore la réalité du diffus qui se réalise dans les quartiers pavillonnaires des premières couronnes des agglomérations, des faubourgs voire des centres des autres villes et bourgs. D’aucuns nient cette réalité (Lacaze, 2011), et beaucoup perçoivent encore, de façon monolithique, un « pavillonnaire généralement peu sensible aux charmes de la densification » (Charmes, 2010 : 23).

Qui sont donc ces particuliers qui densifient ? Pour quels motifs ?

Offre et demande de terrains

Présentons les deux contextes d’enquête : les régions Île-de-France et Haute-Normandie. Le premier correspond à six communes de banlieue et quatre communes rurales (au sens lnsee), réparties dans six [tooltip title= » » content= »Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Yvelines » type= »classic » ]départements[/tooltip] ? Le second rassemble cinq communes de l’agglomération rouennaise, en première couronne mais aussi au-delà, et deux bourgs ruraux du département de l’Eure. L’ensemble de ces communes, qui vont de 1.000 à 100.000 habitants, constitue donc un panel de situations, de l’urbain métropolisé au rural agricole“. Ensuite, les cas enquêtés, environ 115 à la mi—2011, sont pluriels : la division d’un terrain déjà bâti qui aboutit à la construction d’une nouvelle maison, engage un propriétaire qui divise son terrain et/ou construit, et un ou des accédants à cette offre foncière ou immobilière (nouveaux arrivants). Bien sûr, cette division est conditionnée par l’ensemble des règles d’urbanisme qui définissent la surface constructible restante de chaque parcelle, donc les acteurs municipaux sont incontournables (services techniques comme élus). Ils sont en outre secondés par divers professionnels selon les cas (agents immobiliers, notaires, géomètres, architectes). Pour en rester aux seuls pavillonnaires, leurs motifs de densification sont donc : d’un côté les raisons qui amènent des propriétaires à cette division, produisant une offre en terrains à bâtir; de l’autre, celles pour lesquelles des ménages cherchent à s’installer dans ces tissus, qui font la demande. Ces motifs peuvent s’imbriquer, reflétant la complexité des intentions, toutefois nous avons pu les hiérarchiser pour les présenter sous la forme d’une typologie. Commençons par présenter les motifs des propriétaires (l’offre), qui correspondent principalement à des changements de situations de vie.

Pour de jeunes retraités d’abord, diviser un terrain pour le vendre apporte une ressource, que ces ménages utilisent pour « profiter »  de leur nouvelle vie (notamment pouvoir s’offrir plus de loisirs), parfois en construisant sur le terrain un studio pour un étudiant ou un jeune actif. Logique financière exclue, diviser leur sert aussi à évacuer la contrainte de l’entretien ou de la charge d’un jardin devenu inutile. Parmi les personnes âgées ensuite (de plus de 75 ans), une part ne souhaite plus avoir à entretenir son terrain en raison d’une moindre capacité physique ou du non-usage du jardin, et le divise donc pour le vendre. L’apport d’argent permet aussi de « préparer ses vieux jours » : adapter sa maison a la dépendance, ce qui inclut parfois des jeunes retraités qui anticipent l’avenir ; régler sa succession, cas notamment des propriétaires aisés soucieux de gérer au mieux leur héritage ; ou encore disposer d’un complément de retraite, ce qui, pour les propriétaires modestes, sert plutôt à couvrir des nécessités premières. Troisième changement : le divorce. La réduction des ressources liée à la séparation amène souvent celui qui garde la propriété à la vendre. Dès lors, diviser le terrain lui permet de le valoriser, et parfois aussi de faciliter la vente quand le prix de la maison avec terrain est trop élevé par rapport au marché local. Sur la nouvelle parcelle, cet ex-conjoint peut aussi réaliser un logement à vendre ou à louer, car cet apport lui permet de rester dans la maison ex-conjugale, quand il ne préfère pas investir ce logement pour rester sur son terrain. En effet, plusieurs personnes divorcées ont pu continuer à vivre dans leur quartier, pour sa tranquillité, pour conserver leurs relations de voisinage et surtout leurs habitudes dans les équipements et commerces locaux (notamment ne pas re-scolariser les enfants).

A suivre…

Article publié dans « La revue études Foncières » n°155, écrit par Bruno Sabatier et Isabelle Fordin, chargés d’études au CETE Normandie-Centre et au CETE île-de-France

Marc